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Marine Duponchel
Deux jours avant les signatures de l’armistice du 11 novembre 1918 s’éteignait à l’âge de 38 ans l’un des plus grands poètes du siècle : le célèbre Guillaume Apollinaire. Mais ce n’est ni l’éclat d’obus qu’il reçut à la tempe le 17 mars 1916 au Bois des Buttes (soit au pied du Chemin des Dames), ni sa trépanation du 9 mai suivant à la villa Molière, qui l’assassinèrent.
C’est en fait la foudroyante grippe espagnole qui l’emporta le soir du 9 novembre 1918, tout comme 20 millions d’autres personnes durant cette année décisive. Elle fit ainsi plus de victimes que l’impitoyable Grande Boucherie de guerre. Cette maladie fut d’autant plus redoutable qu’on n’a jamais su trouver de remèdes pour soigner ses fortes fièvres. Elle disparut subitement en 1919, aussi rapidement qu’elle était apparue. Arrivé d’Asie (soit disant avec des marins espagnols), ce mal ne manqua pas de marquer à nouveau la vulnérabilité des vivants et la fragilité de leur vie ni de renforcer, encore une fois, le sentiment d’impuissance et cette absurdité à exister qui rongeaient les contemporains…
Quelle ironie de survivre aux atrocités de la guerre mais de succomber avant sa fin, en souffrant toujours aussi péniblement ! Le sous lieutenant Wilheim Apollinaris de Kostrowitzky fut néanmoins loin d’être le seul soldat à mourir de cette grippe, affaibli par ses blessures de guerre…
Le 13 novembre 1918 à Paris, au Père Lachaise, de nombreux amis artistes (dont Pablo Picasso, Max Jacob, Blaise Cendrars ou encore Ferdinand Léger) accompagnèrent une dernière fois cette personnalité de l’engagement et du risque en assistant à son enterrement au côté d’une foule désolée.
Avant 1914, Guillaume Apollinaire était un poète d’avant-garde mais également un critique d’art reconnu. Il comptait notamment parmi les instigateurs de l’art cubiste et présenta par exemple George Braque à Pablo Picasso en 1907.
Au moment de la déclaration de guerre, Apollinaire ne manqua pas plus d’audace et de détermination. En effet, descendant d’une noble famille polonaise et né à Rome en 1880, il n’était pas Français et ne pouvait donc pas intégrer l’armée. Il décida d’harceler les autorités pour obtenir la nationalité française et s’engager sur le front pour combattre l’ennemi. Qui aurait pu imaginer que ce poète fantaisiste se plierait à la discipline militaire ? Mais volontaire, au contraire, il assuma dignement ses responsabilités : dès la fin du mois de novembre 1914, il intégra le 38e régiment d’infanterie à Nîmes et l’année suivante, il fut promu sous lieutenant au 96e régiment d’infanterie. Au front, Guillaume Apollinaire affronta directement la réalité de la guerre, l’omniprésence de la mort et les conditions insupportables de survie telles que la faim, le froid, la boue, les rats ou la vermine…
Ce quotidien d’attente et de cadavres n’a pas empêché l’artiste de continuer son œuvre. Le poète semble avoir accepté cette situation « en riant tous les risques » comme le dit André Billy. Loin de l’écriture de la désillusion et du désenchantement ses Calligrammes, poèmes de la paix et de la guerre, s’inscrivent dans ce besoin de décrire la souffrance et de communiquer l’indicible, mais aussi de signifier et d’interroger l’horreur afin d’expliquer pourquoi ou comment ces hommes se sont battus et ont défendu leur engagement.
Comme Apollinaire, la guerre a poussé beaucoup d’hommes à écrire et à s’exprimer. Comme pour ne pas rester silencieux, ils ont dans les tranchées, à l’arrière, convalescents ou bien plus tard écrit des lettres, des pétitions, leur quotidien, leurs douleurs, leurs peurs, leurs refus mais aussi leurs échappatoires, des poèmes, des romans et parfois même de véritables chefs d’œuvre.
Illustres ou plus modestes, ces soldats écrivains ont donné leur jeunesse, souvent leur vie pour porter leurs idées et défendre leur humanité.
En mémoire, nous conservons aujourd’hui leurs précieux témoignages que nous devons continuer à lire et à transmettre par hommage et par respect mais surtout par devoir, pour la postérité.