Johan Lange
A partir du mois d’août 1918, la situation militaire de l’Allemagne sur le front occidental se détériore de jours en jours. La supériorité militaire de l’Entente et l’arrivée des troupes américaines sur le théâtre des opérations poussent les armées allemandes à la retraite. Le 14 août 1918, l’Etat-major allemand et ses généraux Paul von Hindenburg et Erich Ludendorff informent secrètement l’empereur Guillaume II que la défaite est inévitable. L’offensive générale des Alliés sous le commandement du général Ferdinand Foch menace inévitablement la stabilité du front allemand. Comme l’Etat-major allemand tient de facto le pouvoir en Allemagne après avoir évincé l’empereur des affaires militaires au cours de l’année 1916, cette constatation entraîne de lourdes conséquences.
Le 8 janvier 1918, dans son discours prononcé devant le Congrès, le président des Etats-Unis, Woodrow Wilson, a proposé quatorze points qui, selon lui, forment les fondements pour une paix avec les Puissances centrales. Dans cette déclaration, il a fait notamment allusion à la situation des institutions de l’Etat allemand. L’empereur, de jure le chef des forces armées, n’avait presque plus d’influence ; le gouvernement civil mis en place par Guillaume II et le parlement, le Reichstag, favorables à la paix, demeuraient sans réel pouvoir.
Le 29 septembre 1918, l’Etat-major allemand exige de Guillaume le début des négociations d’un armistice et la création d’un gouvernement dépendant du parlement allemand. Les historiens sont aujourd’hui partagés à ce sujet. S’agissait-il de créer des structures plus démocratiques afin de gagner la confiance et le soutient de W. Wilson lors des négociations difficiles à venir ou bien s’agissait-il de permettre aux hommes politiques de conclure la paix, boucs-émissaires tout trouvés dans l’avenir ? En tout cas, Guillaume II nomme le prince Max von Baden comme nouveau chancelier et laisse intégrer des membres de grands partis politiques du Reichstag dans le nouveau gouvernement. Sous la pression de l’Etat-major allemand, Max von Baden adresse une demande d’armistice aux Etats-Unis. La réponse de W. Wilson le 23 octobre 1918 est claire. Il déclare que l’Allemagne doit être incapable de reprendre les combats avant que ne commencent les négociations. Autrement dit, le président des Etats-Unis demande quasiment une capitulation militaire de l’Allemagne.
Le lendemain de cette note diplomatique, le général Erich Ludendorff demande aux armées allemandes de combattre l’ennemi « avec la plus grande véhémence ». Cet ordre manifeste l’idée que l’Allemagne de doit pas être humiliée en acceptant une capitulation militaire, l’aveu d’une terrible défaite et de la responsabilité des généraux de l’Etat-major allemand. Selon cette volonté de voir les Alliés traiter l’Allemagne sur un pied d’égalité, l’Amirauté allemande donne l’ordre à la flotte allemande d’attaquer le Home Fleet britannique le 29 octobre 1918. Mais les marins refusent d’être sacrifier dans une bataille qui ne changera pas le cours de la guerre. Le 28 octobre 1918, une mutinerie éclate à Wilhelmshaven. La flotte reste dans le port mais les chefs de la mutinerie sont incarcérés. Le 3 novembre, dans le port militaire allemand de la mer Baltique, à Kiel, pendant une manifestation pour la libération des marins arrêtés, une patrouille militaire tire sur la foule et sept manifestants perdent la vie. La Révolution de Novembre commence.
Le soir, des drapeaux rouges flottent sur des bateaux de guerre dans le port de Kiel et le lendemain, les marins révolutionnaires s’emparent de la ville. Des conseils de soldats et de paysans se constituent un peu partout dans les villes allemandes. Le 7 novembre 1918, Kurt Eisner du parti social-démocrate indépendant d’Allemagne (USPD – l’aile pacifique du SPD) déclare à Munich la naissance de la République bavaroise. Entre-temps, W. Wilson annonce qu’une délégation allemande serait accueillie par le commandement allié du général F. Foch. Le 8 novembre, des négociations d’armistice commencent à Compiègne. L’Allemagne est représentée par le député centriste Matthias Erzberger. La situation à Berlin est explosive. La révolution arrive dans la capitale allemande, Berlin. L’Empereur est prêt à appeler l’Armée afin de lutter contre les révolutionnaires.
Le lendemain, le 9 novembre 1918, le chancelier Max von Baden prend la décision d’éviter toute confrontation militaire dans les rues de Berlin. Il s’aperçoit que la monarchie – bien qu’il fasse lui-même parti de la haute aristocratie – ne persisterait plus longtemps. Sans s’être concerté avec l’empereur Guillaume II et sans être autorisé par la constitution, il déclare, vers midi, l’abdication de l’Empereur. Friedrich Ebert, président du parti majoritaire du Reichstag, le SPD, succède à Max von Baden à la chancellerie. Les nouvelles, véhiculées notamment par la presse, vont vite et la foule, curieuse, envahit les grands boulevards de la capitale allemande. Au Reichstag, à 14 heures, Philipp Scheidemann du SPD, d’une célèbre phrase, annonce le début d’une république démocratique : Das alte une morsche, die Monarchie ist zusammengebrochen. Es lebe das neue. Es lebe du deutsche Republik ! (« Le vieux et le pourri, la monarchie s’est effondrée. Vive le neuf. Vive la République allemande ! »). Un peu plus tard, Karl Liebknecht du Spartakusbund, l’association marxiste, déclare au Palais royal de Berlin la création de la Sozialistische Räterepublik, la république socialiste libre. Les rues sont calmes, l’attente règne. Pourtant, derrière les coulisses, la lutte pour le pouvoir s’accélère. Friedrich Ebert et presque tout le SPD craint une révolution incontrôlée qui transformerait l’Allemagne en un état communiste, à l’exemple de la Révolution russe. Des révolutionnaires de l’extrême gauche, quant à eux, demandent des élections le lendemain dans toutes les usines de Berlin pour former des conseils socialistes. Ils souhaitent supplanter Ebert et son parti en coopérant avec le SPD pour clandestinement préparer sa chute.
Le 10 novembre, une assemblée commune se rassemble dans le Circus Bisch. La majorité est favorable à Friedrich Ebert et instaure le Rat der Volksbeauftragen, le conseil des députés du peuple qui compte six membres, dont Friedrich Ebert, Philipp Scheidemann et Otto Landsberg du SPD. Le Rat der Volksbeauftragen est le nouveau gouvernement qui parvient à s’imposer grâce notamment au soutien du général Wilhelm Groener, remplaçant du général Ludendorff depuis le 29 octobre 1918.
Le 11 novembre 1918, sous la pression de l’Etat-major allemand, le Rat der Volksbeauftragen accepte la fin des combats et Matthias Erzberger signe l’armistice à Compiègne.
Les semaines suivantes, le SPD et Friedrich Ebert freine avec succès la révolution et évince les conseils socialistes de l’administration du pays. Les révolutionnaires communistes, surtout les membres du Spartakusbund, sont en situation délicate. Le 8 janvier 1919, ils appellent à la révolution armée à Berlin, mais des troupes loyales au gouvernement mettent fin à trois jours d’émeutes après de dures combats où 165 personnes trouvent la mort. Les communistes sont arrêtés et incarcérés. Le 15 janvier 1919, Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht, les chefs du nouveau parti communiste allemand, sont assassinés.
Les 9 et 10 novembre 1918, le SPD et Friedrich Ebert ont cru que le danger le plus grave pour la nouvelle République allemande était l’influence des socialistes révolutionnaires. Pour établir cette république et éviter toute nouvelle révolution, des alliances ont été réalisées avec les vieilles élites du pays. Peu de temps après, celles-ci ont commencé à contester l’existence du nouveau régime. En niant la défaire militaire allemande et en dissimulant que l’Etat-major allemand avait poussé le gouvernement à accepter l’armistice, le mythe du coups de poignard dans le dos – le Dolchstosslegende – affirmait que seule la révolution allemande avait été la cause de la défaite. L’ancien général allemand Erich Ludendorff ne cessait guère de culpabiliser la République de Weimar pour les conséquences de la Première Guerre mondiale sur l’Allemagne qui étaient, selon lui, le traité humiliant de Versailles et la misère du peuple allemand. L’extrême gauche n’allait pas être responsable de l’écrasement de la nouvelle république…